jeudi 28 mars 2013

Médicaments et pays en développement: cas du Bénin


Fortuné GANKPE (1) Jean-Daniel RAINHORN (2)

1. Département Santé/Université Senghor; 2. Maison des sciences de l'Homme, Paris



Introduction

Les médicaments, principaux produits utilisés pour la prévention et le traitement des maladies constituent l’un des maillons les plus importants dans la chaîne du système de santé. Ils représentent 20 à 30% des dépenses mondiales de santé (OMS 2011).
En 2006, les pays riches ont absorbé 78,5% des dépenses globales pharmaceutiques, contre  21,5% pour les pays à revenu faible et intermédiaire (Lu, Hernandez et al. 2011). Ceci traduit les difficultés liées à la disponibilité et l’accès aux médicaments essentiels pour les populations des pays en développement. Et les politiques d’approvisionnement en médicaments génériques essentiels (MEG) sont confrontées à l’exigence des accords GATS/AGCS et TRIPS/ADPIC (Mfuka 2002).
Le présent rapport expose l’essentiel de l’intervention de Margaret Chan lors du symposium trilatéral (OMS-OMC-OMPI), les principaux obstacles à l’accessibilité des médicaments, suivi de mesures à mettre en œuvre pour favoriser la disponibilité et l’accessibilité aux médicaments génériques essentiels (MEG) au Bénin.
1.    Les trois principaux challenges selon M. Chan
Chan a axé son discours lors du symposium (deuxième d’une série de concertations conjointes trilatérales entre l’OMS, l’OMC et l’OMPI), sur trois principaux  points.
    Le déséquilibre entre les besoins et les ressources en santé
Les besoins en médicaments sont croissants et inversement proportionnels aux ressources disponibles. L’ambition des gouvernements à aller vers la couverture universelle se traduit par une augmentation des dépenses. La charge des maladies chroniques augmentent, ce qui se traduit par un besoin croissant en médicament. Or la crise économique de 2008 a porté un sérieux coup sur l’économie et les programmes de santé sont confrontés à de graves déficits financiers. Selon Chan, « la santé publique est désormais confrontée à une augmentation des attentes et des ambitions qui vient à contre-courant, puisque les besoins et les coûts augmentent à un moment où les fonds stagnent ou diminuent ».
   Le difficile accès aux informations sur les brevets
La liberté d’achat de médicaments génériques est soumise à la contrainte de l’accord ADPIC car il faut désormais considérer la situation du pays au regard des brevets. Or les informations sur les brevets sont complexes et très floues. C’est pourquoi Chan appelle expressément à « favoriser l’accès à des bases de données mondiales conviviales contenant des informations publiques sur le statut administratif des brevets liés à la santé ».
   Les instabilités politiques, reflet des inégalités de santé.
Dans son intervention, Chan a fait le parallèle entre les troubles qui touchent la plupart des pays du Moyen-Orient et les inégalités en santé. Selon Chan, ces troubles trouvent leur fondement dans l’échec des gouvernements à améliorer la vie des gens. D’où l’importance du travail conjoint entre les trois organisations a-t-elle dit ; car, « améliorer l’accès aux médicaments est un moyen fondamental et réalisable d’améliorer l’équité et de répartir les avantages du progrès plus équitablement ».
2.    Obstacles à l’amélioration de l’accessibilité aux médicaments essentiels  
Les enjeux en matière de MEG au Bénin sont dominés par le prix face à l’insuffisance d’une réglementation, l’assurance-qualité face au marché illicite de faux médicaments et la réticence des prestataires dans la prescription.
    Le coût excessif pour les communautés
Au Bénin, la règlementation en matière de MEG n’est pas très précise sur les prix. La Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels (CAME) est passée à la réalité des prix depuis 1998 (ReMed 2011). C’est le marché qui régule les prix laissant libre cours aux dérives. Il n’est pas aussi rare de constater que le prix des MEG dans les zones reculées est deux fois supérieur au prix pratiqué dans les grandes villes du fait des frais de transport. Cette situation constitue l’un des principaux obstacles à l’accessibilité aux MEG.
    Le marché des faux médicaments
L’une des difficultés du Bénin est le phénomène des faux médicaments. Le commerce illicite des médicaments et leur contrefaçon se développent de façon inquiétante avec des menaces sur la santé publique. Environs 40 % des ménages à Cotonou ont eu recours au moins une fois au marché illicite (ABDOULAYE, CHASTANIER et al. 2006). Les faux médicaments proviennent pour la plupart du Nigeria. Cela traduit l’insuffisance des contrôles douaniers  au niveau des frontières. 
    La faible prescription des MEG par les professionnels de santé
Les MEG représenteraient 90% du marché national des médicaments au Bénin (Chisale and Trapsida 2006). Cependant subsistent des disparités entre les zones rurales et les centres urbains. En effet, la contribution des professionnels de santé dans la consommation de MEG reste insuffisante notamment pour les zones urbaines bien couvertes par les officines ; il y a une pharmacie pour 12000 habitants à Cotonou contre pour 400 000 habitants dans l’Atacora (ReMed 2011). Sous la pression des délégués médicaux, les médecins prescrivent beaucoup plus souvent les médicaments de spécialité.
3.    Stratégie d’amélioration de l’accessibilité aux MEG
Au regard de tout ce qui précède, trois mesures sont possibles.
    Amélioration de la productivité locale
Le Bénin jouit d’une certaine expérience dans la production de médicaments de par la présence d’industries.  En revanche, la part du marché de Pharmaquick est estimé à 29% des MEG de la liste nationale (ACAME 2011). Il sera alors intéressant de renforcer les capacités de cette industrie et encourager la production inclusive au détriment de l’exportation.
    Régulation de la politique des prix
Le gouvernement malien a instauré une régulation des prix des MEG qui a amélioré leur accès (Maïga and Williams-Jones 2010). Il est souhaitable que le gouvernement béninois prenne exemple sur cette démarche. Ceci passe par une mobilisation de tous les acteurs du secteur, un renforcement des capacités de distribution de la CAME et un leadership gouvernemental accru.
    Lutte contre les faux médicaments
La consommation de médicaments n’est pas exceptionnelle au Bénin malgré le contexte socio-économique peu favorable. En revanche, le recours au médicament illicite est prépondérant (ABDOULAYE, CHASTANIER et al. 2006). « Toute insuffisance de disponibilité des médicaments, toute tarification exagérée du recouvrement des coûts, tout relâchement dans la régulation du sous-secteur […] ont pour conséquences la favorisation du marché illicite » (Millot 2006).
Face à cette situation, il urge de passer à la répression. A l’endroit des consommateurs, il faudra sensibiliser sur les méfaits des faux médicaments à travers des canaux appropriés auxquels ont accès les populations, et en même temps rendre disponibles et à moindre coût les MEG dans les formations sanitaires. Ceci passe par un partenariat privé-public étroit, la promotion des MEG auprès des prescripteurs et le contrôle de la publicité. En outre, « de part sa problématique transfrontalière, il est nécessaire de placer la lutte contre le marché illicite dans un cadre régional harmonisé au niveau des organisations économiques et monétaires régionales d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) » (Millot 2006).
Conclusion
Au regard du droit à la santé inscrit dans la constitution du Bénin, l’accès aux médicaments est aussi un droit. A un moment où les ressources sont très limitées et face aux besoins croissants des MEG, la promotion de la production locale s’avère nécessaire. Une action concertée dans une coopération multilatérale est souhaitable pour venir à bout du fléau des faux médicaments.

Références

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